Marchés chinois, l’automne du retour à la raison
L’acceptation d’un nouveau monde
L’analyse erronée de la situation chinoise a provoqué plus d’un effet pervers. Outre une chute boursière démesurée – même si une partie de la correction était justifiée par des valorisations excessives, tant sur les marchés d’actions A (cotées en Chine continentales) qu’à Hong Kong – , elle a jeté une suspicion irrationnelle sur la construction du modèle chinois et de ses fondamentaux. Certains chroniqueurs sont même allés jusqu’à désigner la décélération de la progression du PIB chinois comme la cause du ralentissement de la croissance mondiale…
« Le rôle attribué à l’économie chinoise dans le ralentissement de l’activité mondiale est exagéré. Sa faiblesse actuelle vient d’abord de la contraction des prix des matières premières, de celle des échanges commerciaux, puis, par ricochet, d’une plus faible demande manufacturière, » argumente Eric Fishwick, responsable de la recherche économique chez CLSA.
Le repli des prix des matières premières n’a pas seulement atteint l’économie réelle des pays émergents exportateurs de matières premières, ou, de ceux dépendant surtout de l’exportation de produits manufacturiers. Leur dépréciation a touché directement les marchés de capitaux des pays émergents. « Les recettes des pays producteurs de pétrole et de gaz (Arabie Saoudite, Qatar, Emirats, etc.) ont été réduites drastiquement, un manque à gagner qui n’a pas été investi en Bourse, ni en projets de financements (d’infrastructure par exemple). Ceci explique en partie les sorties de capitaux des marchés émergents, dont asiatiques, » explique Sean Taylor, responsable des investissements de l’APAC, responsable marchés émergents de Deutsche AWM.
Crainte du régulateur
Une autre explication de la défiance des investisseurs étrangers est « la réaction malheureuse des autorités de régulation chinoises du marché actions, » observe Samuel Faveur, président-directeur général de Mandarin Capital. Leur méthode d’intervention destinée à endiguer la chute boursière (à partir de fin juin) a, dans certains cas, plus inquiété que rassuré. « Menacer de chasse à l’homme, par exemple, est une tactique troublante, » relève Samuel Faveur, commentant les menaces de lancements d’enquêtes sur les manipulations de marché « punies avec rigueur », de la part de la China Securities Regulatory Commission (CSRC).
Aujourd’hui, « le souci majeur sur le marché des actions A est la liquidité. Les grands investisseurs chinois, tout comme les entreprises se sont engagés à ne plus vendre leurs participations : L’offre et la demande sont biaisées, » indique le président-directeur général de Mandarin Capital.
Par conséquent, les investisseurs souhaitant profiter « des fondamentaux chinois, tandis que les valorisations des actions chinoises ont retrouvé des niveaux de valorisation plus cohérents, devraient se positionner à Hong Kong. A Shanghai et à Shenzhen, les valorisations restent plus onéreuses qu’à Hong Kong et l’intervention du régulateur représente un risque majeur, » ajoute Samuel Faveur.
Maintenant que les niveaux de valorisations boursières paraissent s’être stabilisés (depuis le 25 août), il n’est pas certain, toutefois, que le régulateur intervienne à nouveau de façon substantielle. A l’exception faite de sa lutte sans merci contre les produits à effet de levier ou « umbrella trusts » (prêts structurés non régulés proposés aux investisseurs en actions).
Quête d’équilibre
« L’objectif principal du gouvernement est d’éviter la formation de bulles, non de susciter à nouveau une progression des cours, » estime Sean Taylor. « La santé de l’économie chinoise est très peu corrélée à la hausse des Bourses. Les autorités cherchent surtout à créer un environnement financier stabilisé et sain, » expose le responsable marchés émergents de Deutsche AWM.
Le gommage des excès et la quête d’équilibre se retrouvent aussi dans la conduite de la politique économique : Comme le souligne Eric Fishwick, tablant sur une croissance du PIB chinois de 6,5 % pour 2015, « l’objectif des autorités chinoises est de soutenir la tendance structurelle de l’activité et non de la dépasser. » Au risque de décevoir les observateurs, sans doute loin du terrain, imaginant le lancement d’un gigantesque plan de relance destiné à gonfler l’accroissement de l’activité. « Une hausse du PIB chinois comprise entre 5 et 6 % dans l’année serait tout à fait respectable, un niveau à faire baver d’admiration les gouvernements de l’Ouest, » commente Don Amstad.
La recherche d’équilibre chinoise se retrouve également dans la politique monétaire de la banque centrale (PBoC). A cet égard, « la décision prise, le 11 août dernier, de laisser le Renminbi se déprécier un peu est pertinente. La devise était largement surévaluée, depuis longtemps, » note Samuel Faveur.
Selon la Bank for International Settlements (BIS), les mesures du taux de change nominal effectif (NEER) montrent effectivement que le Renminbi s’était apprécié de 41 % entre juillet 2005 et 2015, de 22 % entre janvier 2009 et juillet 2015, et, de 14,3 % entre juillet 2014 et juillet 2015. A comparer à l’appréciation des dernières années, le repli récent du Renminbi contre dollar, de 3 % environ depuis le 11 août, paraît bien anodin…
L’internationalisation du Renminbi avant tout
Pourtant, cette initiative a déclenché de multiples critiques extérieures (Lire l’entretien avec Rocky Tung). « Le moment a été mal choisi et le marché n’y avait pas été préparé, » juge Mo Ji, chef économiste Asie hors Japon d’Amundi à Hong Kong, regrettant un manque de « guidage » des anticipations de marchés (« forward guidance ») de la part des autorités monétaires « concernant ce changement majeur de politique. »
Plus que de procéder à une dévaluation drastique, « il s’agit d’attribuer une valeur de marché au Renminbi. Cette démarche progressive est destinée à lui assurer une stabilité de long terme, en vue d’une inclusion au panier de constitutif des droits de tirages spéciaux (DTS / « Special Drawing Rights » : SDR), » temporise Samuel Faveur.
Les craintes d’un coût d’intervention trop onéreux pour la PBoC (900 milliards de Renminbi au mois d’août en réserves de change), afin de soutenir le Renminbi face au dollar (suivant le nouveau mécanisme de fixation du cours de la devise chinoise adopté le 11 août), devraient également s’estomper. « Les sorties de capitaux du pays vont diminuer au fur et à mesure que les investisseurs intégreront cette nouvelle donne, » anticipe le président-directeur général de Mandarin Capital.
Le temps des Pandas
Preuve qu’il n’y a guère péril en la demeure, le cours du CDS chinois ( « credit default swap », reflet du risque de crédit) se maintient. Quant au marché obligataire local, celui-ci étend son développement. Les premières autorisations auprès de banques étrangères afin d’émettre des obligations libellées en Renminbi (RMB) sur le marché continental « onshore », appelées « Panda bond », ont été attribuées. HSBC et la filiale hongkongaise de Bank of China ont émis, la semaine dernière, chacune 1 milliard de Renminbi d’obligations « Pandas », avec une maturité de 3 ans, à des coupons de 3,5 %. Ce n’est qu’un début.
Experts cités :
Mo Ji, chef économiste Asie hors Japon d’Amundi à Hong Kong
Don Amstad, « director – business development Asie », Aberdeen Asset Management
Eric Fishwick, responsable de la recherche économique chez CLSA
Samuel Faveur, président-directeur général de Mandarin Capital
Sean Taylor, responsable des investissements de l’APAC, responsable marchés émergents de Deutsche AWM