Les marchés chinois se préparent à l’année du Singe de Feu
La Chine n’est pas un univers fermé. Analyser ses marchés d’actions, obligataires ou de devises, ne peut se concevoir sans jeter un coup d’œil à la politique monétaire des États-Unis. Cet exercice est d’autant plus fondamental que les effets du relèvement des taux (de 0,25 %) de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) en décembre 2015 sont loin d’être anodins. Il s’agit de la première hausse de taux directeur depuis 9 ans et demi, après 7 ans de régime à taux zéro. Ce changement est intervenu à contre courant des autres grandes banques centrales, plutôt en train de maintenir leurs politiques monétaires expansionnistes afin de conserver de faibles niveaux de taux (voire négatifs).
« Carry trade » massif
Favorable à une appréciation du dollar par rapport aux devises des pays en phase de baisse ou de stabilisation de leurs coûts de financement, la récente divergence américaine a changé la donne du début des années 2010. Elle a rebattu les cartes de l’immense mouvement de « carry trade » (opération spéculative sur les écarts de rendement entre différents types d’actifs, en particulier sur les devises) mondial qui s’est développé au cours des dernières années, incité par la faiblesse des taux des pays développés.
L’ampleur de ce « carry trade » demeure difficile à chiffrer exactement. Cependant, quelques données, en particulier concernant les émissions de dette libellés en dollars hors des États-Unis, attirant moult acquéreurs étrangers entre 2009 et 2014, peuvent en donner une idée. Par exemple, en dix ans seulement, le crédit (les obligations et les prêts) « offshore » libellé en dollar est passé de 28 % à 55 % du PIB des États-Unis et de 11 % à 17 % du PIB mondial hors Amérique, selon les calculs de CLSA. Selon la Bank for International Settlements (BIS), la dette en dollar des emprunteurs non bancaires en Chine, en Inde, en Indonésie, en Corée, en Malaisie et dans les Philippines, a atteint, quant à elle, un total de 1 680 milliards de dollars à la fin du deuxième trimestre 2015 (les emprunteurs chinois en représentant 1 180 milliards de dollars). Les emprunts des entreprises basées hors des États-Unis – via des émissions obligataires ou auprès des banques – ont, quant à eux, presque doublé, de 5 600 milliards de dollars à la fin de 2008 à 9 800 milliards de dollars à la fin du deuxième trimestre 2015.
Nombre d’entreprises des pays émergents, pourtant détentrices de larges soldes de trésorerie, ont choisi délibérément d’émettre en dollars afin d’afficher un meilleur rendement, révèle un rapport de la BIS d’août 2015. Les émissions obligataires libellées en dollar, réalisées par des groupes non financiers des marchés émergents, se sont établies à 134 milliards de dollars en 2013 (à comparer à 35 milliards de dollars en 2004). Et, celles-ci ont, en général, trouvé des acheteurs très rapidement.
Le risque de la dette en dollar
Or, depuis l’anticipation par les experts financiers de la hausse des taux américains et leur remontée effective, la donne a changé radicalement. Les pays émergents ont de plus en plus de difficultés à attirer et à retenir les flux d’investissements venant de l’étranger et cette observation vaut pour tous leurs marchés financiers. « Les flux de capitaux, l’élément vital des actions, broient du noir. Pendant les périodes de faiblesse des devises des pays émergents, les sorties des actions des pays émergents sont habituelles, mais l’épisode actuel est brutal. Certes, ce n’est pas difficile d’expliquer pourquoi l’argent quitte les fonds émergents : En général, en période d’appréciation du dollar, les liquidités retournent vers la dette et vers les actions des pays développés, » témoigne Manishi Raychaudhuri, stratégiste actions Asie Pacifique chez BNP Paribas. Les marchés financiers chinois (qu’ils soient d’actions ou de devises) ne sont pas immunes à ce phénomène, puisqu’ils sont qualifiés « d’émergents » dans les grilles d’analyse et les indices que les investisseurs prennent pour référence.
Ce phénomène pourrait-il empirer avec une future nouvelle hausse des taux américains, comme l’anticipe le consensus ? En retenant cette hypothèse, sans aucun doute. Des turbulences supplémentaires seraient à prévoir sur les marchés financiers émergents, chinois compris. A moins que, suivant le scénario privilégié par Christopher Wood, stratégiste actions de CLSA, « la Fed ne soit pas capable de normaliser sa politique monétaire et renoue avec l’assouplissement. » Selon l’expert, « la réalité est que la Fed a monté les taux tandis que les économies américaine et mondiale étaient à court d’élan. » En outre, « il y a plus de dette douteuse financée en dollar qu’il n’en faut (« onshore » et « offshore ») pour déclencher soudain des craintes concernant le crédit, avec comme catalyseur évident, le risque de son refinancement. Ceci pourrait se traduire par une flambée des « spreads » (différentiel de taux) de crédit dans un contexte d’aplatissement de la courbe de rendement. Alors, la Fed devra revoir sa position de politique monétaire » et réinjecter des liquidités.
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