Patrick Druet, directeur général de Mgallery Songtsam Retreat, crée l’alchimie à Shangri-La
Dans les coulisses de l’Himalaya. Le voyageur qui pose ses valises à Songtsam Retreat, au cœur de la région himalayenne de Shangri-La (au nord de la province chinoise du Yunnan), est d’abord subjugué par la beauté sauvage des paysages. Il s’étonne ensuite de la bienveillance sincère avec laquelle il est accueilli. Son cœur de citadin, aussi endurci soit-il, est vite conquis par la joie de vivre irrésistible qui émane des sourires prodigués à son égard. Même le touriste désabusé qui a tout vu peine à se contenter de qualifier sa chambre de « grande » et de « style tibétain ». Il a envie d’ajouter dans sa critique : « meublée avec goût, respirant l’harmonie… chaleureuse. » Les gourmands également sont choyés, tant au restaurant tibétain « Nachuling » qu’au restaurant à thème provençal, « Les Horizons Perdus », les sens émoustillées par la saveur et la fraîcheur des produits locaux. Certains peuvent même se régaler des champignons cueillis par leurs soins (s’ils arrivent à la bonne saison) puis cuisinés à leur convenance.
Ces visiteurs de Songtsam Retreat se sentent comme à la maison. Ils en oublient leur statut de « client venant pour consommer un service ». La seule chose dont ils se rappellent, c’est l’expérience de sérénité qu’ils sont en train de vivre, associés à l’alchimie dont le directeur général de l’hôtel, Patrick Druet détient la clé. Arrivé dans les hauts plateaux (à 3 300 mètres) de Songtsam Retreat il y a sept ans, ce caractère attentionné crée l’élan et la cohésion. Il est respecté par son équipe pour son implication humaine passionnée et sa quête communicative de qualité. Il dit d’ailleurs lui-même vivre « une expérience de vie pure, plutôt qu’un tremplin professionnel, pour qui se fut le but de venir travailler dans cet établissement hôtelier. C’est ici que je peux m’exprimer totalement. »
La révélation des hauts plateaux
L’homme au parcours atypique, venu à l’hôtellerie après un début de carrière au Canada dans la photogravure électronique, se souvient d’avoir découvert le Yunnan au début des années 2000 en exerçant dans l’un des hôtels de Lijiang, après diverses expériences dans de grands hôtels d’Asie (Taïwan, Xiamen, Shijiazhuang). Cette étape dans cette ville, en grande partie peuplée par les Naxi (20 % de la population environ) et les Yi, lui a permis de découvrir la vie dans les minorités. Elle a été aussi l’occasion de visiter la région voisine de Shangri-La. Cette découverte a été une révélation. « J’ai été attiré par cette région mystique de l’Himalaya, sa nature, ses grands espaces, le code pastoral, la culture locale…, » énumère Patrick Druet, toujours sous le charme. Séduit, le Français passionné s’est empressé de faire valoir sa candidature afin de rejoindre ces hauts plateaux, cependant, son parcours non académique n’a pas retenu l’attention des bureaux de ressources humaines. Finalement, « c’est le propriétaire tibétain du Mgallery Songtsam Retreat de Shangri-La en personne qui a fait le choix, en 2009, de me proposer de prendre la direction de l’établissement himalayen, après m’avoir invité à un week-end estival. C’est lui qui m’a ouvert la porte d’un nouveau destin, » souligne Patrick Druet. Force est de constater que les très riches années suivant cette date décisive ont été vécues avec intensité. « S’il s’agissait au début d’une aventure à vivre, celle-ci s’est rapidement transformée en expérience de vie, dans un rôle actif de développement durable, » remarque-t-il.
Adaptation et intégration totale
Bien que les touristes assimilent Songtsam Retreat à un havre de paix pour le corps et l’esprit, le travail sur place n’y est pas forcément de tout repos. Pour commencer, le Français a dû s’acclimater à la très haute altitude, qui peut être à l’origine de problèmes de récupération. Le directeur a découvert également d’autres équations logistiques et d’achats à résoudre, posées par l’éloignement, les aléas climatiques. Les deux années qui ont suivi son affectation ont été marquées aussi par l’accoutumance « aux us et coutume du lieu, consacrées à la compréhension de l’identité même de l’établissement, » insiste-t-il. Cette phase paraît effectivement incontournable pour guider avec perspicacité une équipe de 120 personnes composée de 6 minorités, dont les différences d’expérience, de perception et de standards requièrent un effort constant de supervision.
En l’occurrence, 30 % du personnel de Songtsam Retreat sont issus d’une ONG locale, dont l’objectif était d’offrir une formation de quelques mois à des jeunes de régions montagneuses vivant sous le seuil de pauvreté. Un autre tiers des collaborateurs vient des deux villages voisins et le reste de la région de Diqing. « Notre hôtel doit représenter le mieux possible la culture, et, sous une forme active et vibrante. Il faut, d’une part, que chaque employé se retrouve lié à notre pilier central, la culture, afin, d’autre part, d’offrir à notre clientèle une expérience unique et vraie, » estime le directeur général. La conservation de l’identité de l’établissement est quasiment indissociable de sa réussite, constituant en outre un moyen d’assurer à certains jeunes « issus des diverses minorités locales un métier futur sans quitter cette région. Ces jeunes doivent se construire un avenir professionnel pour ne pas devenir des « Aliens » (extraterrestres) dans une grosse agglomération chinoise, » espère Patrick Druet.
Plus qu’un dirigeant, un formateur engagé
C’est ainsi qu’il n’hésite pas à troquer sa casquette de directeur contre celle de formateur. Ce rôle qui lui tient à cœur l’a même poussé à prendre un congé sabbatique afin de rafraîchir ses connaissances. En 2014, il a rejoint le lycée hôtelier Bayet de Tours par le biais du Greta pour une période de 6 mois, non pas pour des cours de gestion, mais pour des cours intensifs en cuisine, restauration et œnologie. L’objectif était d’observer les pratiques d’éducation en établissement professionnel, pour, une fois de retour dans les Himalayas, les appliquer à ses jeunes coéquipiers « tout en développant notre produit qualité, » ajoute l’homme, également très attaché à son double rôle d’ambassadeur de la culture française et locale tibétaine. Cette démarche pour le moins atypique a été couronnée de succès. De retour dans ses sommets d’adoption, le Français a mis en place le restaurant provençal de Songtsam Retreat, qui propose des plats de famille généreux et véritablement savoureux. De plus, un service au guéridon peut accompagner les repas événementiels ou ceux des invités de marque.
Après avoir insufflé une nouvelle âme à la restauration, Patrick Druet s’est attaqué à la rénovation du spa « LInka Spa », une fois de plus avec sagacité et sans ménager ses efforts. Il relate cette expérimentation rythmée de divers voyages avec enthousiasme : « Je me suis rendu au Népal pour un peu plus d’un mois fin 2015, à la recherche de techniques ancestrales et traditionnelles de massage. » Là bas, il a rencontré le docteur Amchi Sherab Tenzin (« Amchi » : docteur en Tibétain), un Tibétain du Bhoutan qui a ouvert un centre de soins à Katmandou, deux cliniques au Népal et au Bhoutan, également fondateur et directeur de Pure Sorig Vision, un centre de soins et de recherche en médecine traditionnelle tibétaine. Par la suite, c’est son épouse, Pema Bhuti, Sherpa, qui est elle même venue former les thérapeutes de Songtsam Retreat à des techniques millénaires de massage holistique « Ku Nye » et de massage exfoliant à la « Tsampa ».
L’Himalaya pour toujours
Le perfectionnisme (au sens positif du terme) est bien ce qui caractérise Patrick Druet, mais pas seulement. Sa personnalité ne saurait être décrite sans parler de sa soif inextinguible d’exploration. Peu s’étonneront donc d’apprendre que l’un de ses projets à court terme est de prendre la direction du futur hôtel tibétain à Lhassa, le «Lhassa Songtsam Linka», dont l’ouverture est prévue pour mai 2017. A plus long terme, l’explorateur épanoui prévoit de rentrer en France, sans pour autant y renier son âme. Son projet est de créer au Périgord « une sorte d‘antenne Colibris, une oasis aux parfums himalayens, un petit café ouvert d’avril à octobre offrant des plats végétariens himalayens, en présentant des produits de bien être « bio », des produits d’artisanat et deux petits logements locatifs sous le même thème. » Quant à l’hiver, il sera réservé à des voyages au Népal ou au Bhoutan pour prospecter les produits de la boutique et, éventuellement, à de la formation hôtelière de petites entreprises familiales désireuses d’améliorer la qualité de leurs produits. L’aventure himalayenne est loin d’être terminée.
Quelques conseils de Patrick Druet, directeur général de Mgallery Songtsam Retreat
Quelle est la clé de la réussite en qualité de directeur général (« manager ») à Songtsam Retreat ?
La réussite s’est fondée tout au long des années, en réalisant des changements majeurs au sein de la gestion et de l’équipe. La structure pyramidale de toute entreprise classique a vite été supprimée pour laisser place à une structure plate et horizontale, ce qui correspond mieux aux valeurs humaines locales. Ensuite, la culture a été érigée comme pilier principal de notre entreprise, afin que chaque employé demeure lié à notre identité, à notre vision de l’entreprise. La totalité de notre équipe est issue du milieu rural régional et est, par conséquent, très attachée aux valeurs traditionnelles. Par ailleurs, la formation générique, académique, qui prévaut généralement en entreprise multinationale, a été remplacée par une formation pratique, sur le terrain. Le directeur, quant à lui, a un rôle de chef (« leader ») actif à tous les niveaux. Présent sur place la plupart du temps, celui-ci exécute des tâches aussi bien opérationnelles que de gestion. Il est essentiel d’adhérer à l’éthique de l’entreprise et d’être accessible pour tous.
Quelles recommandations donnez-vous aux jeunes diplômés français qui souhaitent tenter leur chance ?
Depuis 2009, j’ai moi même effectué, durant mes congés d’hiver, des visites et des présentations de Songtsam Retreat dans des écoles hôtelières de France (Vatel Nîmes, Vatel Paris, Sup de Co La Rochelle, Vienne, Hong Kong, etc….) afin de recruter pour des périodes de six mois des stagiaires arrivant en fin de cycle. Un grand nombre d’entre eux sont repartis avec une expérience enrichissante sur le plan humain et une approche différente sur le mode opérationnel professionnel. Cependant, au départ, beaucoup arrivent avec une attitude de directeur, le diplôme faisant foi, et la synergie ne se fait pas. Il faut donc qu’ils fassent l’effort de rentrer dans notre structure horizontale, qu’ils apprennent à s’adonner aux tâches de base, à nettoyer le plancher, le travail en équipe… C’est à ce moment là que la cohésion s’effectue, et qu’ils peuvent, à leur tour, partager leur savoir faire malgré les barrières de la langue.
Les touristes chinois ont-ils modifié leur comportement au cours des dernières années ?
Leur comportement a beaucoup changé au cours des sept dernières années. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne doit doubler entre 2010-2020 et il est flagrant qu’il a déjà beaucoup progressé. Du voyage en groupe en 2009, le touriste de Chine se déplace maintenant « en individuel », avec si possible son propre véhicule. Beaucoup de nos hôtes arrivent avec leur voiture, depuis Kunming ou depuis Chengdu. Ils partent en famille, avec les enfants et grands parents, ou bien avec des amis. Il est habituel de recevoir des réservations pour trois à six chambres en été pour la même famille ou le même groupe d’amis. La réservation sur Internet est aussi, comme ailleurs, un changement majeur dans le secteur hôtelier. Ce qui signifie que les réservations a court terme ou le jour de l’arrivée sont fréquentes. La majorité des familles chinoises disposent « d’iPads » ou de matériel photographique haut de gamme. Même les drones commencent à apparaître.
Décors de Songtsam Retreat
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