Dossier spécial « Travailler en Chine » : Comment diriger des équipes franco-chinoises
(Available in English) Créer l’harmonie, la clé de la réussite. « Ils n’ont rien compris ! » s’exclament souvent les nouveaux expatriés en terre de Chine. Rares sont ceux qui se retiennent d’exprimer une certaine contrariété lorsqu’ils décrivent leurs travaux communs avec les équipes chinoises qu’ils viennent tout juste d’intégrer. Ce ton teinté d’exaspération est-il justifié ? Non, bien entendu. Afin d’éviter toutes sortes de malentendus puis les impasses, le premier pas du nouvel arrivant en terrain chinois est de prendre conscience des différentes perceptions. En tant qu’étranger dans l’Empire du Milieu, c’est à lui de s’adapter et d’apprendre à communiquer pour … être compris.
Apprendre l’implicite
L’une des clés est de comprendre la différence entre les cultures à contexte faible et fort. Dans les cultures à contexte faible, dont la France fait partie (bien qu’elle y occupe une position intermédiaire), la transmission d’un message s’appuie essentiellement sur les mots. Les phrases dites ou écrites sont directes, explicites, précises : « Ce que je veux faire est ce que je dis, » résume Eric Tarchoune, fondateur, directeur général de Dragonfly Group, cabinet de conseil en ressources humaines, dont le siège en Chine est basé à Shanghai. A l’inverse, dans les cultures à contexte fort, dont celle de la Chine, la communication est implicite. Elle est moins basée sur la parole que sur la fonction de la personne qui communique. Il n’est pas nécessaire de tout dire puisque cela va de soi. Un discours à contexte faible « sera perçu comme brutal par une personnalité d’une culture à contexte fort. A l’opposé, une personnalité imprégnée d’une culture à contexte faible peinera à saisir la signification d’un discours à contexte fort. Elle va le trouver très flou,» commente l’expert en ressources humaines.
Au moment opportun
La vision stratégique et sa mise en musique au niveau des divers échelons de l’entreprise sont très différentes aussi. Tandis que la culture française, cartésienne, se caractérise par la pensée dite rationnelle, en Chine, la façon de raisonner accorde une plus grande part à l’intuition. Les réflexions stratégiques chinoises, qui pourraient être qualifiées d’art de la perspective, s’accompagnent d’une grande prise de recul. « Elles englobent le plus grand nombre d’éléments possible, sans jamais s’enfermer dans un périmètre délimité. D’un point de vue français, la logique chinoise peut paraître confuse. Pourtant, elle est celle du jeu de go. Elle est destinée à s’adapter au chaos, à un monde en changement constant, » relève Eric Tarchoune. Autre élément fondamental à assimiler, en Chine, les choses se font au moment dit « opportun », c’est-à-dire lorsque les circonstances paraissent les plus favorables. Suivant cette logique opportuniste, planifier avec précision une action longtemps à l’avance semble bien peu judicieux. Tout peut être prêt, cependant, rien ne se fera « tant que le patron n’aura pas donné le coup d’envoi. Cette décision dépend de sa volonté dans le temps, » remarque le fondateur de Dragonfly Group. Contrairement aux Occidentaux habitués à considérer le temps de façon linéaire (marqué par un point de départ et une fin), les Chinois le vivent comme une série de cycles sans chercher à y inscrire une notion de durée. Une redondance sans fixité et pour l’éternité.
Cadencer
Est-ce possible d’associer ces deux regards culturels et de les faire concorder ? Absolument. Par exemple, un responsable français tenu de respecter les délais des projets en cours doit « décomposer les tâches et cadencer leur exécution, tout en s’adaptant aux changements fréquents liés à la forte capacité de réactivité de son équipe chinoise, » répond Eric Tarchoune. Cette démarche ne va pas sans faire l’économie de donner des explications régulières quant à l’objectif final à atteindre. « Il faut poser des questions régulièrement afin de s’assurer que le message a été bien reçu. Il faut aussi rappeler constamment à ses collaborateurs qu’ils ont la permission de prendre des initiatives, » ajoute le professionnel. Ce qu’ils savent très bien faire – une véritable force de créativité -, à condition d’avoir obtenu l’aval de leur supérieur hiérarchique auquel ils sont très attachés.
En famille
Dans l’Empire du Milieu, le rôle du responsable d’équipes, qui doit montrer l’exemple, dépasse la simple relation de travail individualiste à l’occidentale. Garant respecté d’une harmonie sociale au sein de toute l’entreprise, il s’investit au delà de l’univers professionnel de ses salariés. Son influence s’étend parfois à la vie familiale de ses collaborateurs. « Embaucher un Chinois, c’est gérer tout un groupe. Son épouse et ses parents sont impliqués dans sa carrière. Lors de recrutements, il nous arrive de discuter également avec les membres de la famille du salarié concerné, voire de les rencontrer, » témoigne Eric Tarchoune. Ces derniers s’enquièrent du salaire, mais pas seulement. Le titre, les possibilités d’évolution au sein de l’entreprise, le développement des compétences sont autant d’éléments qui comptent. A cet égard, « pour convaincre de l’utilité d’une formation, nous démontrons que ce n’est pas seulement pour être mieux payé. Nous expliquons que c’est un investissement consenti par l’entreprise et une récompense afin que le salarié s’améliore. Cette démarche lui « donne de la face » car il est reconnu et encouragé, » explique Eric Tarchoune.
La route de la prospérité
Dès que l’harmonie s’installe dans les équipes multiculturelles, les synergies sont immenses. « Les cultures français et chinoises se complémentent parfaitement. Lorsqu’elles s’allient, grâce au respect d’autrui et à la confiance, elles s’inspirent mutuellement. Leur épanouissement et leur potentiel se renforcent, » atteste le professionnel en ressources humaines, installé en Chine depuis plus de 20 ans. L’expert, qui ne cesse de travailler à l’intégration d’équipes chinoises en France et inversement d’équipes françaises en Chine, combat le préjugé selon lequel les Chinois sont fermés vis à vis de l’extérieur. Il remarque : « C’est un peuple qui englobe et sait marier les contraires. Ils savent reconnaître l’excellence et prendre le meilleur de ce qu’ils observent puis l’adaptent à leurs racines. En ce sens, ils sont opportunistes, une carte maîtresse en développement des affaires. » Il serait dommage, qu’à cause d’un malentendu culturel, les jeunes expatriés français passent à côté d’une si belle occasion d’élargir le champ de leurs possibles, d’une aventure, très intense certes, mais tellement enrichissante.
Dossier spécial « Travailler en Chine »
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