Lancôme à Hong Kong, un coup de crayon trop épais: L’avis d’Albert Louie, président-directeur général de A. Louie Associate Ltd
Le cas Lancôme à Hong Kong. Albert Louie, président-directeur général de A. Louie Associate Ltd, décrypte l’actualité de Chine continentale et en analyse les conséquences pour les entreprises étrangères.
(Available in English) Comment Lancôme, marque française renommée du groupe L’Oréal à Hong Kong, présente sur l’île depuis plus de 30 ans, a-t-elle pu tomber si bas, soudain, dans le cœur des Hongkongais, après avoir retiré son parrainage de la chanteuse hongkongaise, Denise Ho ? Quelles leçons tirer de l’enchaînement d’événements qui ont conduit au boycott de l’un des joyaux français du Port au parfum ? Qu’une compréhension et une analyse fines de la situation sur le terrain ne sont jamais une perte de temps. Dans le cas présent, ce travail aurait sans doute mérité d’être approfondi tant à Hong Kong qu’en Chine continentale, deux marchés certes imbriqués mais véritablement différents.
D’abord, l’annulation impromptue à Hong Kong (le 5 juin) du concert (alors complet) organisé par Lancôme pour le 19 juin avec la chanteuse Denise Ho, sans évoquer d’autres motifs que de « possibles raisons de sécurité » (sachant que le Port au parfum fait partie des villes les plus sûres d’Asie), est mal passée. Certains ont interprété cet acte comme une insulte des consommateurs hongkongais. La population hongkongaise, toujours très bien informée, qui accède à la fois aux informations de l’Ouest et de Chine continentale, a immédiatement fait le rapprochement avec des lignes publiées la veille sur Weibo (plate-forme de microblogage de Chine continentale) par le Global Times. Le journal, dont le siège social est à Pékin, y qualifiait Denise Ho d’avocate de l’indépendance de Hong Kong et du Tibet. Et ce faisant, condamnait, la stratégie promotionnelle de Lancôme à Hong Kong.
Une réaction excessive
L’Oréal devait-il s’effrayer de ces menaces ? Rien n’est moins sûr, étant donné que le Global Times n’est pas du tout le porte-parole du gouvernement de Chine. Les messages importants du président de République Populaire de Chine, Xi Jinping, sont relayés par l’agence Xinhua. Ceux du Parti le sont par le People’s Daily. Le Global Times, qui est une filiale du People’s Daily sur le papier, a en réalité peu de portée. De plus, la publication est mal vue des autorités. Sanctionnée et critiquée à maintes reprises pour la diffusion d’articles jugés « à sensation », sa version électronique a même reçu (mi-mai) un blâme du régulateur internet suprême du pays : La Cyberspace Administration of China a déclaré publiquement qu’un récent sondage concocté par le Global Times était « une violation sérieuse de la discipline en information et a causé de sérieuses conséquences politiques. » Cette analyse du paysage médiatique de Chine continentale vient donc contredire la thèse de pressions émanant du pouvoir de Pékin, par presse interposée, sur le groupe L’Oréal. A l’aune de ce constat, la réaction immédiate du groupe de cosmétique à la suite des écrits du Global Times, paraît excessive.
Une conclusion similaire vaut pour la mise à l’écart de Denise Ho. Cette personnalité n’était guère considérée comme dangereuse par les autorités chinoises. Si la chanteuse se forge une image « d’activiste » à Hong Kong, elle n’appartient en revanche à aucune organisation politique bannie par le gouvernement chinois. Vue de Chine continentale, l’artiste, née à Hong Kong mais qui a aussi vécu longtemps au Canada, n’était pas assimilée à une menace, plutôt regardée comme une nouvelle entrante un peu originale sur la scène controversée hongkongaise. A l’observation de ces éléments, la coupure nette de dialogue initiée par le groupe L’Oréal avec Denise Ho paraît démesurée.
Vive compétition en Chine
L’activité du groupe L’Oréal pourrait-elle un jour être déstabilisée, sous l’influence du gouvernement chinois ? Cette hypothèse n’est pas celle à privilégier, eut égard à l’implication sociale du groupe sur le territoire chinois (présent depuis 1997). La filiale chinoise du groupe L’Oréal y emploie à peu près 4 500 personnes. Elle a installé également un laboratoire de recherche à Shanghai, sans compter, parmi ses actifs, trois usines à Suzhou, Yichang et à Guangzhou.
Dès lors, d’où vient cette angoisse extrême d’être boycotté en Chine continentale ? De la vive compétition avec les marques japonaises et coréennes ? Ces marques sont-elles réellement compatibles en termes d’histoire et de réputation ? Le sentiment anti-japonais perdure en Chine, tandis que les marques coréennes sont de nouveaux acteurs. Dans cet environnement, Lancôme demeure une marque forte du groupe L’Oréal sur le marché chinois de la cosmétique. Les femmes chinoises, en général, ont toujours un fort engouement pour le maquillage des marques étrangères réputées, malgré le prétendu ralentissement économique.
En 2015, la croissance du chiffre d’affaires de L’Oréal en Chine continentale a pu progresser encore de 4,6 % (à 14,96 milliards de yuan), à comparer à 7,7 % en 2014. Entre-temps, l’Empire du Milieu est devenu le deuxième plus grand marché du groupe de luxe français (juste après les États-Unis).
Ce rang pourrait être maintenu, à une condition cependant, que les dirigeants du groupe L’Oréal ne mésestiment pas la nécessité de comprendre les véritables forces influentes de l’environnement des affaires, tant en Chine continentale qu’à Hong Kong. Et pour commencer, le groupe L’Oréal pourrait, peut-être, mettre en place une équipe de gestion de crise solide, afin de réparer les dommages causés sur la réputation de Lancôme à Hong Kong.
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Né à Pékin, Albert Louie a fait ses études aux États-Unis et parle l’Anglais, le Mandarin et les dialectes chinois. Il a monté le premier bureau de représentation de Kroll à Pékin en 1996, comme responsable des opérations en Chine. Il a ensuite constitué son cabinet, A. Louie International, et conseille des compagnies multinationales dans la conduite de leurs opérations en Chine.
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