La filière immobilière chinoise entame sa transformation

Capchine2Correction conjoncturelle ou éclatement d’une bulle spéculative ? Telle est la question que se posent nombre d’observateurs de la baisse des prix de l’immobilier chinois depuis le début de l’année.

Au mois d’août, selon les dernières statistiques publiées par les autorités chinoises, les prix de ventes de l’immobilier résidentiel neuf ont décliné par rapport au mois de juillet dans 68 des 70 villes étudiées par le National Bureau of Statistics of China. Les prix de ventes de l’immobilier résidentiel de seconde main, quand à eux, se sont repliés dans 67 villes. Selon un indice calculé par Reuters, en moyenne, sur le territoire chinois, les prix des nouvelles maisons ont perdu 1,1 % en août par rapport à juillet, à comparer à 0,9 % en juillet par rapport à juin.

Un rééquilibrage de l’offre incontournable.

« Nous faisons face à un recul national et inhabituel des prix à la propriété qui pèse sur la volonté d’investir, » relève Rocky  Tung, économiste de Coface basé à Hong Kong. L’indice du sentiment immobilier RECI (real estate  climate index) est retourné à ses plus bas niveaux de 2009, tandis que les montants d’investissements dans le développement immobilier se réajustent rapidement. Entre janvier et août, ils ont atteint 5 897,5 milliards de yuans (selon le National Bureau of Statistics of China), soit une croissance nominale annuelle de 13,2 % à comparer à 19,3 % à la même époque de 2013.

« Ce ralentissement est d’ordre structurel, » commente Aidan Yao, économiste de Axa Investment Managers en charge de l’Asie émergente. L’expert rappelle que l’immobilier chinois n’est pas un marché de spéculation : Les achats dans la pierre correspondent à une nécessité, « d’abord de logement, puis, de placement de l’épargne à long terme. »

Placement de l’épargne

Pour les particuliers, c’est l’investissement le plus attrayant en terme de rendement contre risque. Les dépôts bancaires sont rémunérés en dessous de l’inflation, « les marchés d’actions domestiques demeurent très volatiles. Les produits financiers destinés à la gestion de fortune ont gagné en popularité ces dernières années. Cependant, ils contiennent des risques cachés significatifs que les rendements ne compensent pas de façon adéquate, » remarque Aidan Yao.

Le développement soutenu d’autres sources de financement de l’économie, susceptibles d’apporter d’autres possibilités de placements adaptées aux épargnants, pourrait à terme réduire l’importance des flux financiers vers l’immobilier. Mais la concrétisation d’un tel phénomène est encore du domaine de la fiction. « S’il s’est considérablement étoffé récemment, le marché de l’obligataire, demeure trop jeune pour prendre le relais du marché immobilier, » indique Rocky  Tung.

Espaces urbains à revitaliser

La perte de vitesse actuelle du secteur immobilier s’explique surtout par un excès d’offre par rapport à la demande. Ce décalage est prégnant dans les zones urbaines « tier » (intermédiaires), c’est-à-dire où la population est moins importante que dans les municipalités majeures (Beijing, Shanghai, Tianjin et Chongqing) et le développement économique moins robuste.

L’investissement dans l’immobilier s’est accru de 20 % par an au cours des années précédentes et il faut désormais « 14 mois pour vendre le surplus d’inventaire résidentiel dans les villes « tier 1 », 16 mois dans les villes « tier 2 », 24 mois dans les villes « tier 3 » et plus encore dans les villes « tier 4, » calcule Aidan Yao.

Une façon d’atténuer ces déséquilibres serait « de créer une activité économique pérenne, des emplois dans les zones déjà construites mais inhabitées », espère  Rocky  Tung. Il faudrait envisager la revitalisation des villes fantômes, à l’image de Tianducheng. Construite à 200 km de Shanghai comme une copie conforme de certains quartiers de Paris, en espérant accueillir 10 000 personnes, elle n’abrite à ce jour que 2 000 habitants environ.

Des investissements pourraient être lancés pour installer les populations rurales qui vivent de façon ponctuelle en périphérie des grandes agglomérations pour y travailler. Un tel projet supposerait une réforme du « hukou ». Suivant ce système, les travailleurs migrants ruraux ne détiennent pas de carte de résidence communale. Ils n’ont pas les mêmes droits en matière d’éducation, de santé, de retraite et de fiscalité que ceux qui sont dotés de la carte de résidence urbaine. Malgré une forte demande d’égalités de droits, « les assouplissements des règles de résidence n’ont jusqu’à présent été que cosmétiques, » observe Sebastian Veg, directeur du Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC).

Alléger le coût du financement

Une relance de la demande via un abaissement du coût de financement pourrait dynamiser aussi les transactions immobilières. « Les taux d’emprunts bancaires proposés aujourd’hui aux particuliers et aux petites entreprises sont trop onéreux, » estime Rocky Tung. L’économiste anticipe une prochaine baisse des taux d’intérêt directeurs venant de la  People’s Bank of China (PBOC). Elle est « nécessaire pour atteindre un taux de croissance du PIB proche de 7,5 % en 2014, fixé par les autorités chinoises

Des taux d’intérêts bancaires en meilleur adéquation avec la conjoncture limiterait la motivation d’aller financer ses projets grâce au « shadow banking », fortement sollicité dans le domaine de la construction résidentielle. Par ailleurs, « le risque bancaire est tout à fait gérable. Les emprunts immobiliers des particuliers représentent 15 % du bilan des banques chinoises. Ces emprunteurs paient une grande partie de leurs acquisitions immobilières en cash et sont solvables. Les salaires progressent en moyenne de 10 % par an, » explique Aidan Yao. Pour rappel, l’épargne représente 50 % du PIB chinois.

Restructurations chez les promoteurs

Il n’empêche, les particuliers ne sont pas les seules parties prenantes de la filière immobilière. Comme le précise l’une des études de Leon Goldfeld, gérant d’Amundi à Hong Kong, les prêts liés à l’immobilier résidentiel représentent 50 % de ceux de l’ensemble du système financier de Chine continentale, provenant à la fois des particuliers, des gouvernements locaux ou des promoteurs. « Les emprunts des promoteurs correspondent à presque 7 % du total des prêts des  banques chinoises, » précise Rocky Tung. Or, de l’avis de nombre d’expert, le risque vient surtout de cette catégorie d’acteurs. Dans l’incapacité de céder leurs stocks comme espéré, certains pourraient faire défaut. Un mouvement de consolidation entre ces entreprises est déjà en train de s’opérer.

Les espoirs d’une intervention musclée de la part des autorités chinoises pour revivifier le marché immobilier sont grands : Certains économistes comptent qu’une diminution de 30 % de l’activité de la construction résidentielle imputerait le PIB chinois de 1,5 % à 2 % .

 

(Publié sur www.lefevrefinance.fr ; Sylvain Lefevre Finance)