David Baverez, une vision tonique de la modernisation chinoise
David Baverez, investisseur installé à Hong Kong depuis trois ans, aime bousculer les idées reçues. Ses observations du nouveau monde chinois invitent à considérer le développement de l’Empire du Milieu sous un angle neuf, dépoussiéré de préjugés, en phase avec l’air du temps.
« Le danger ne vient pas des nouvelles idées, il vient de s’accrocher aux anciennes »
L’exercice est d’autant plus ardu qu’une grande partie des analyses sur la transformation de la Chine est élaborée à partir d’une diffusion redondante d’observations simplifiées, inscrites dans un référentiel occidental standardisé à l’extrême.
Le danger de cette superficialité est de mésestimer à la fois les atouts, les occasions mais aussi les risques qui découlent de la modernisation de la deuxième puissance économique mondiale.
Par chance, David Baverez ne manque pas de talent de persuasion ni d’énergie. Force est de constater que « Génération tonique – l’Occident est complètement a l’Ouest », le titre de son tout récent ouvrage paru chez Plon, sied parfaitement à sa personnalité. Quant à la citation d’introduction « Le danger ne vient pas des nouvelles idées, il vient de s’accrocher aux anciennes », (John Maynard Keynes), elle donne incontestablement le ton du voyage auquel nous convie l’expert.
Revenu disponible sous-estimé
« On peut de plus en plus se demander si de nombreuses statistiques chinoises ne sont pas sous-évaluées, » rétorque ainsi David Baverez aux sceptiques du modèle chinois, qui s’entêtent à vouloir n’en soustraire que quelques chiffres.
« Selon les équipes de recherche du Crédit Suisse, le véritable revenu disponible de la population chinoise serait le double des statistiques officielles, » rapporte l’investisseur, qui a relevé quelques éléments concrets corroborant ce calcul. « Le niveau de vie et de consommation ne correspondent pas aux salaires affichés. Comment expliquer les achats d’Iphone réalisés par une partie de la population aux salaires mensuels dits équivalents à son prix moyen de 700 dollars ? Comment expliquer les acquisitions de voitures BMW par des collaborateurs d’entreprises, aux revenus moyens de seulement 2 000 dollars par mois?… L’une des explications, sans doute, est la sous-estimation à dessein par les entreprises de leurs chiffres d’affaires, et par conséquent des coûts de ventes et des salaires, afin de déclarer moins et d’être moins imposées, » suppose David Baverez.
Désinformation chinoise contre désinformation occidentale
Et de citer également « L’art de la guerre » de Sun Tzu, dont l’objectif est d’éviter tout combat. Pour y parvenir, cette stratégie militaire enseigne de s’assurer que ses propres forces soient sous-estimées par l’ennemi, que celui-ci ne se rende compte que trop tardivement qu’il est déjà entièrement encerclé.
Selon David Baverez, cet art serait à l’origine de la tolérance vis à vis de la publication régulière, à l’extérieur du Continent, d’anecdotes concernant les dysfonctionnements et aberrations du système chinois.
Maniée cette fois par les États-Unis, la désinformation serait, selon l’investisseur français, l’un des éléments à l’origine de la vague de décisions depuis le début de l’année émanant d’entreprises chinoises totalisant 25 milliards de dollars de capitalisation, de quitter le marché boursier américain pour se re-introduire a terme à Shanghai ou à Shenzhen. « Il faut au moins deux ans pour conduire une telle opération. Affirmer que les sociétés chinoises font le choix a court terme de se coter sur leur marché domestique seulement pour exploiter la bulle chinoise du moment ne tient pas debout…. Ce phénomène ne correspond pas à un pari de court terme, » commente David Bavez.
Il s’agit, en l’occurrence, de tirer les leçons de cas tels que celui de Mindray Medical : Après avoir remporté une série de contrats en Occident, le spécialiste du matériel médical qui se finance à la Bourse américaine a subi, un matin, une brusque chute de 30 % de son cours. Ce jour là, un cabinet de recherche américain « indépendant » venait de publier un rapport accusant la société de malversations comptables et diffusant, « preuve » a l’appui, la photo d’un terrain agricole correspondant à l’adresse d’un prétendu centre de recherche de la société. « Malgré la publication immédiate de contre-preuves démontrant la fausseté de ces allégations, la valorisation boursière de Mindray Medical continua de stagner, permettant au management de finalement sortir récemment la société de la bourse a une décote particulièrement favorable … » observe David Baverez.
L’Europe, terre de diversification
De manière paradoxale, un Continent jugé attrayant aujourd’hui de manière opportuniste par les familles chinoises, est l’Europe. « La volonté très forte des Chinois de diversifier leurs actifs les conduit à se tourner vers un monde qu’ils jugent empreint de stabilité. Ensuite, nombre de nouvelles familles fortunées souhaitent transmettre leur richesse à la génération suivante, un savoir-faire qu’elles pensent dénicher chez les européens. L’aspect culturel aussi joue beaucoup. Forts d’une civilisation millénaire, les Chinois apprécient de discuter avec des hommes sensibles à cette dimension, » remarque David Baverez.
Afficher ces multiples valeurs ne suffit pas pour établir une relation de confiance. « Il faut attendre au moins un an avant de pouvoir parler affaires, se permettre de dévoiler une proposition d’investissement concrète. Les familles veulent d’abord connaître leurs interlocuteurs. Pour ce faire, ceux-ci sont régulièrement invités à des divers événements et conviés à discuter culture, études, valeurs. Les Chinois sont avides de conseils en matière d’éducation de leurs enfants. La famille est essentielle en Asie, alors que celle-ci a été remplacée bien souvent par l’État en Europe, » témoigne l’investisseur.
Excès d’offre
Une autre recommandation de David Baverez adressée aux entrepreneurs envisageant de se déployer dans l’Empire du Milieu est de considérer leurs projets « sous l’angle de l’offre et de l’intensité concurrentielle. En Europe, la déflation vient de l’appauvrissement de la population. En Chine, la déflation s’explique par l’excès d’offre… La concurrence se développe beaucoup plus rapidement, d’où la nécessité de bien identifier les barrières a l’offre. Par exemple, il convient d’être prudent avant de se lancer dans le commerce en ligne, quand seulement 1 % des sociétés chinoises du secteur y sont désormais profitables. » D’après l’investisseur, dorénavant, les secteurs à fort potentiel seront à identifier dans des domaines tels que les services liés aux entreprises, les solutions antipollution, ou les services à la santé.
Biographie de David Baverez
David Baverez, diplômé d’HEC et de l’INSEAD, a travaillé dix ans (1995-2005) chez Fidelity Investments (Londres, Boston, Paris), d’abord comme analyste financier puis en tant que gérant de fonds d’actions européennes et globales, notamment du fonds Fidelity European Aggressive.
En 2005, il a créé sa propre société de gestion, KDA Capital, et géré un fonds « long only » concentré sur les sociétés européennes en forte transformation. Fin 2010, il a décidé de retourner l’ensemble des fonds à ses investisseurs, anticipant les futurs problèmes institutionnels de l’Europe. Depuis, il est établi a Hong Kong, et finance des start-ups. Il a publié « Génération tonique » en 2015.
(Repris par www.lepetitjournal.com/hong-kong ; Le Petit Journal de Hong Kong )