La « Super Baie Canton-Hong Kong-Macao », un autre projet pharaonique de la Chine

Pour le voir, il n’est plus nécessaire de quitter la terre ferme, de prendre l’avion puis de regarder frénétiquement par le hublot quelques minutes avant d’atterrir à Hong Kong. Il suffit de se promener dans la petite ville de pêcheurs de Tai O (à Lantau, la plus grande île de la Région administrative spéciale de Hong Kong (HKSAR)), de lever les yeux vers la mer, en direction de Macao pour en découvrir l’architecture. La construction de l’un des travaux les plus complexes de l’histoire de Chine – qui, côté hongkongais, a démarré en décembre 2011 – est presque achevée. Le « Hong Kong-Zhuhai-Macao Bridge » (HZMB, http://www.hzmb.hk/eng/index.html) est le premier super-projet au monde qui combine à la fois des ponts, des tunnels et des îles artificielles, intégrant des contraintes liées au trafic maritime ainsi qu’aérien à l’approche des aéroports. Cette connexion routière longue de 55 kilomètres reliera Hong Kong à Zhuhai en un peu plus d’une demi heure, au lieu des 3 à 4 heures actuelles (en prenant la route de 200 kilomètres longeant la côte).

Le « Hong Kong-Zhuhai-Macao Bridge », première pierre d’intégration

Comme il faut rendre à César ce qui lui appartient, rappelons que cette œuvre d’infrastructure gigantesque, l’un des piliers de l’intégration économique du Port au parfum à la région de Canton, a été inspirée par l’un des magnats (« tycoon ») de la HKSAR, en l’occurrence Sir Gordon Wu Ying-Sheung. Né en 1935 en Chine continentale, arrivé à Hong Kong en 1949, l’homme d’affaires a suivi l’enseignement jésuite du collège renommé Wah Yan de Hong Kong avant d’être diplômé ingénieur de l’Université de Princeton (États-Unis) en 1958. Il a formé la société Hopewell Holdings en 1964 (cotée à Hong Kong en 1972) qu’il continue de présider. Engagée dans le développement immobilier, d’hôtels, de centrales et de grandes autoroutes, la compagnie rayonne en Asie et particulièrement en Chine. Depuis les années 80, Gordon Wu a conduit les activités de Hopewell Holdings conformément à sa vision : Déployer un système de transport innovant dédié au déploiement manufacturier du delta de la rivière des Perles (« Pearl River Delta ») tout en s’appuyant sur la proximité de la HKSAR, en pointe dans les services professionnels. Le milliardaire de la construction a su convaincre de son idée d’édifier un pont entre Hong Kong, Zhuhai et Macao et a obtenu l’appui du gouvernement de la République Populaire de Chine (RPC) en 2003. A l’époque, le concept s’inspirait du pont-tunnel de Chesapeake Bay (Virginie, États-Unis). Depuis, le principe du HZMB a évolué, prenant en compte de multiples spécificités du terrain dont des paramètres environnementaux.

Quoi qu’il en soit, cette infrastructure hors norme n’est pas du tout gratuite pour les Hongkongais. La HKSAR a déjà payé sa première part de participation au projet, soit 6,7 milliards de yuan (7,9 milliards de HK dollars). Et elle pourrait devoir débourser une somme de 4,3 milliards de yuan supplémentaires (5 milliards de HK dollars) car un rapport soumis au State Council à Pékin vient de mettre en lumière un fort dépassement de coût concernant le pont principal construit dans les eaux de Chine continentale. Le coût financier final pourrait dépasser de 10 milliards de yuan (11,8 milliards de HK dollars) la première évaluation (de 37,7 milliards de yuan). Il n’est pas certain cependant que Hong Kong accepte d’emblée de participer à cet extra. Le Legco (Conseil législatif de la HKSAR) demandera sans doute à vérifier les factures et divers contrats à l’origine de ce dépassement de budget considérable.

Une Baie aussi peuplée que la France

Maintenant que cette première étape de l’intégration économique de Hong Kong à la région de Canton, symbolisée par l’existence du HZMB, est quasiment franchie, le sujet qui mobilise la communauté des affaires du Port au parfum est l’analyse des débouchés venant de la « Super Baie Canton-Hong Kong-Macao » (« Guangdong-Hong Kong-Macao Greater Bay », GBA). Il s’agit de l’initiative chinoise de créer un « tout » économique à partir de l’extension et du développement accéléré de neuf agglomérations situées dans la province du Guangdong (de Canton), tout en les connectant à Macao et à Hong Kong. Les neuf villes piliers identifiées sont Shenzhen, Dongguan, Huizhou, Zhuhai, Zhongshan, Jiangmen, Guangzhou (Canton), Foshan et Zhaoqing. « Nous continuerons de soutenir Hong Kong et Macao en intégrant leur propre développement au développement de l’ensemble du pays. Nous donnerons la priorité au développement de la « Super Baie Canton-Hong Kong-Macao », qui est une coopération entre Canton, Hong Kong et Macao, une coopération régionale dans le delta de la rivière des Perles, une coopération bénéficiaire mutuelle entre le Continent et les deux régions. Nous formulerons et améliorerons les politiques et mesures pour faciliter le développement des carrières professionnelles de la population de Hong Kong et de Macao en Chine continentale, » précise et promet Xi Jinping, le président de la RPC, dans son rapport d’ouverture du 19e Congrès national du Parti communiste chinois (qui s’est tenu du 18 au 24 octobre à Pékin). Autant dire que les dès sont jetés, l’initiative de la GBA se concrétisera.

A l’intérieur de son périmètre, comment se caractérise-t-elle ? Dotée d’un espace de 56 500 kilomètres carrés, équivalent à presque deux fois celui de la Belgique, la super Baie abrite une population de 67,1 millions de personnes, un nombre un tout petit peu supérieur à celui de la France. D’après les anticipations de Cushman & Wakefield, le PIB de la GBA, de 1 300 milliards de dollars actuellement, pourrait plus que doubler d’ici à 2030, à 2 930 milliards de dollars. A titre comparatif, le PIB de la baie de Tokyo (14 000 kilomètres carrés) est de 1 800 milliards de dollars, comme celui de la baie de New York (34 000 kilomètres carrés). En même temps, l’objectif des autorités chinoises est d’améliorer les revenus par tête. A ce jour, le PIB par tête de la zone n’est que de 20 000 dollars, à comparer à 50 000 dollars dans la baie de Tokyo ou à 77 000 dollars dans la baie de New York. « Le PIB par tête de la GBA pourrait s’approcher des 44 000 dollars en 2030, » prévoit Alva To, vice président et responsable conseil Grande Chine, chez Cushman & Wakefield.

Comment ? « En reliant et en connectant toutes les villes majeures de la GBA entre elles, ce qui va favoriser la mobilité, les échanges économiques, de talents et les synergies, » répond Alva To. C’est ainsi qu’entre 2016 et 2020, il est prévu de faire progresser le kilométrage ferroviaire de la région de 37 % (à 4 400 kilomètres environ) et le kilométrage autoroutier de 57 % (à 8 800 kilomètres). Attention, les divers pôles d’activité autour des villes « moteurs » identifiées ne se déploieront pas en ordre dispersé, ni au gré du hasard. Une coordination politique des gouvernements locaux est attendue afin d’aboutir à l’émergence d’un grand pôle presque homogène, aussi dynamique que cohérent. Chaque agglomération, qui sera spécialisée dans un domaine, y jouera son propre rôle. (Voir le tableau ci-dessus; Source Cushman & Wakefield ) Suivant cette planification, il est prévu, par exemple, que Hong Kong conserve son atout majeur de place financière mondiale, que Shenzhen en bénéficie pour se renforcer dans l’innovation, les hautes technologies, la recherche et développement, tout en tissant des liens avec Dongguan. Il s’agit de provoquer, via diverses politiques de collaborations, un effet boule de neige qui devrait transformer totalement le Sud de la Chine en moins d’une décennie. L’Empire du Milieu, habitué au mouvement perpétuel, ne fait pas les choses à moitié.