Le « Brexit » vu de Tianjin, la résurgence du protectionnisme inquiète
Le monde nouveau. « Les pays doivent adopter des politiques plus favorables à la croissance, renforcer la coordination de leurs politiques macroéconomiques, promouvoir fermement la libéralisation du commerce et de l’investissement, s’opposer fermement au protectionnisme et construire un système économique plus juste et plus ouvert. » A une époque, qui paraît fort lointaine désormais, ces propos auraient pu être attribués à un dirigeant politique venant d’Europe. Mais, les temps ont changé. Aujourd’hui, pour les entendre, il faut se déplacer à Tianjin, en Chine continentale du nord, et écouter le discours d’ouverture du « Davos d’été » (qui s’est tenu du 26 au 28 juin) du Premier ministre de la République populaire de Chine, Li Keqiang. Appelé également « Réunion annuelle des nouveaux champions », lancé à l’initiative du World Economic Forum (WEF) en 2007, le « Davos d’été » se tient annuellement en Chine, alternativement à Dalian ou à Tianjin. Cette année, l’événement a rassemblé plus de 1 700 participants (hommes politiques, entrepreneurs, investisseurs, universitaires, représentants des médias) de 90 pays autour du thème : « La quatrième révolution industrielle et son impact transformationnel. »
L’édition 2016 a fait la part belle à la robotique – certains n’oublieront jamais leur discussion avec « Jia Jia », le robot féminin sophistiqué au visage délicat, gracieusement paré d’une tenue chinoise traditionnelle – mais pas seulement. La réunion internationale a permis aussi de préparer quelques recommandations en vue du sommet du G20 de septembre, qui aura lieu à Hangzhou (dans la province chinoise de Zhejiang). Et c’est, sans aucun doute, dans ce cadre que les propos du Premier ministre de Chine (cités ci-dessus), quant à la nécessité de s’opposer à la résurgence du protectionnisme, se sont inscrits, avant d’ajouter : « Les économies majeures du monde ne devraient pas considérer seulement leurs propres besoins de croissance lorsqu’elles font leurs politiques macroéconomiques, mais aussi les réactions en chaîne qu’elles provoquent. »
Des liens qui s’étaient renforcés avec le Royaume-Uni
Bien sûr, Li Keqiang n’a pas manqué de commenter le vote du Royaume-Uni en faveur de sa sortie de l’Union européenne : « Les pays européens sont des partenaires importants de la Chine. Dans les nouvelles circonstances, la Chine continuera à maintenir et à cultiver ses relations avec l’UE et le Royaume-Uni. Nous espérons voir une UE unie et stable et un Royaume-Uni stable et prospère. » Et pour cause, les intérêts communs entre la Chine et le continent européen sont loin d’être négligeables. L’UE est le deuxième partenaire d’export de la Chine et le premier en termes d’importations (en 2015).
La part du Royaume-Uni dans ces échanges, quant à elle, croit à vive allure depuis cinq ans. Le commerce bilatéral avec le Royaume-Uni représente 10 à 15 % des échanges commerciaux de la Chine avec l’UE. Entre 2011 et 2015, les importations britanniques en Chine ont progressé de 94,2 % en valeur, soit un quasi doublement. Les volumes d’échanges entre la Chine et le Royaume-Uni ont dépassé pour la première fois les 80 milliards de dollars en 2014. Par ailleurs, la croissance des investissements britanniques en Chine a atteint un taux annuel de 71,7 % au cours des trois dernières années. Cette croissance a même approché les 88 % en 2014 (d’une année sur l’autre), le plus fort taux de progression des pays européens. Autrement dit, une érosion de la santé économique de la Grande Bretagne – éventuellement liée à une négociation désavantageuse de sa sortie de la Communauté européenne – constituerait une bien fâcheuse nouvelle pour la Chine.
De plus, les liens économiques entre les deux puissances se trouvaient encore renforcés depuis la visite officielle du président de la République Populaire de Chine au Royaume Uni, en octobre 2015. A cette occasion, Xi Jinping avait déclaré : « le gouvernement britannique a lancé des plans ambitieux afin de moderniser ses infrastructures, la construction d’une centrale électrique dans le nord de l’Angleterre, la mise en œuvre de la stratégie « UK Industry 2050 ». Ces projets, ainsi que les initiatives « Road and Belt », « Made in China 2025 », et « Internet Plus » , entrepris par la Chine, sont complémentaires à bien des égards. » Et de fait, toute une série de contrats de coopération prometteuses avait été signée.
Plusieurs routes pour l’européanisation du Renminbi
La Chine avait en outre estimé que Londres était la place financière internationale la mieux placée d’Europe pour participer à son ambition d’internationaliser le Renminbi. C’est pourquoi l’Agricultural Bank of China avait émis sa première « obligation verte » (« green bond ») étrangère en passant par le centre financier britannique. De même, c’est à Londres que la banque centrale de Chine (PBoC / The People’s Bank of China) a émis son premier « Dim Sum » (obligation libellée en Renminbi) à l’étranger, et, que le ministère des finances chinois a émis sa première obligation souveraine sur le marché « offshore » du Renminbi (pour 3 milliards de Renminbi). Sans compter le début de pourparlers afin d’étudier la faisabilité d’établir une connexion directe entre les bourses d’actions de Shanghai et de Londres (à savoir un « Shanghai London Connect »), ou, de poser les premières briques d’un « London-Hong Kong Connect » de matières premières. Si Londres perd de sa splendeur en qualité de centre financier européen, restera-t-elle la mieux positionnée aux yeux de la Chine pour jouer un rôle privilégié dans l’internationalisation du Renminbi via l’Europe ?
Statut complet d’économie de marché, la perte d’un allié
Surtout, l’Empire du Milieu va perdre, avec le départ de David Cameron (qui devrait quitter son fauteuil de Premier ministre d’ici octobre), un allié dans les négociations européennes destinées à lui conférer (ou non) son statut complet d’économie de marché (SEM), ce qui lui permettrait d’éviter de faire face aux mesures « anti-dumping » imposées par les pays européens. Premier dirigeant politique de l’UE à faire pression pour la conclusion d’un accord de libre-échange entre Pékin et l’UE, David Cameron avait soutenu encore récemment l’octroi à la Chine d’un statut complet.
A son entrée dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) en 2001, la Chine avait été enregistrée comme une économie non marchande, avec la promesse d’un réexamen de son statut quinze ans plus tard, fin 2016. L’exécutif européen devrait prendre une décision à ce sujet à l’été. En attendant, un débat mené en mai au Parlement européen s’est conclu par un vote (non contraignant) massif contre la révision des droits chinois. La Commission européenne, quant à elle, a jugé qu’octroyer le statut d’économie de marché à la Chine serait un choix « intenable », faisant valoir « un coût énorme en termes de pertes d’emplois dans l’Union européenne. »
Pour sa part, Li Keqiang, a déclaré en juin, à l’occasion d’une visite en Chine de la chancelière allemande, Angela Merkel : « La Chine a déjà rempli ses obligations en adhérant à l’OMC. Ce qui est nécessaire à présent, c’est que les autres parties remplissent les obligations correspondantes et promises. Nous ne voulons pas livrer une guerre commerciale parce que cela ne profiterait à personne. » Au delà de la question de réciprocité, certes au cœur des négociations commerciales avec l’Europe, la capacité à tenir ses promesses également est mise en jeu. Vue de Chine, elle est toute aussi fondamentale.