Le Japon surmonte la hausse de la taxe sur la consommation
Voici près de deux ans d’Abenomics, le « traitement de choc » de Shinzo Abe (Premier ministre depuis décembre fin 2012) prescrit à l’économie du Japon afin de renouer avec l’inflation. Les Japonais sont-il plus heureux ? Ce n’est sans doute pas le meilleur moment de leur poser cette question.
En transition
Les consommateurs subissent le renchérissement de nombre de leurs postes de dépenses avec la hausse de trois points de la taxe de la consommation (du premier avril) à 8 %. « Il est clair que les effets immédiats de cette augmentation sur le pouvoir d’achat des consommateurs les a rendus plus frileux. Cependant, beaucoup d’entre eux reconnaissent qu’il s’agit d’une contrepartie nécessaire pour le long terme, afin que la croissance future de l’économie japonaise « soit plus durable grâce un processus de désendettement » commente Ken Maeda, gérant d’actions de Schroders, basé à Tokyo.
Ce mouvement est une révolution pour les Japonais qui avaient pris l’habitude d’observer des diminutions de prix dans le monde déflationniste qui était le leur depuis 1997. D’un point de vue extérieur, le nouveau niveau de la taxe japonaise n’a rien de spectaculaire. A titre comparatif, le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) français est de 20 % et son taux intermédiaire, appliqué à la restauration, est de 10 %.
Économes… en apparence
Il n’empêche, les consommateurs japonais restreignent leurs achats. « Cet été, les employés de bureau ne commandaient plus de café à la fin de leur déjeuner. Beaucoup préféraient manger sur le pouce, devant l’écran de leur ordinateur, » témoigne Saiko Yoshida, basée à Tokyo, présidente de la société de conseil SY International. « Quant aux menus qui sont restés au même prix qu’en mars, ils sont devenus moins copieux. »
Ces réflexes économes se retrouvent dans les chiffres particulièrement décevants de juillet publiés par le « Statistic Bureau » du ministère japonais des affaires internes et des communications. A l’aune des données d’août, une amélioration est toutefois en train de poindre. La moyenne des dépenses de consommation par ménages (composés de une ou deux personnes) a atteint 282 124 yen (à comparer à 280 293 en juillet), en repli de 0,9 % en terme nominal par rapport à août de l’année dernière. Il s’agit d’un recul de 4,9 % en terme réel. Phénomène intéressant incitant à relativiser la morosité des Japonais vis à vis de la consommation, les dépenses en habillement et en
chaussures (9 307 yen en moyenne en août) se sont accrues de 5,4 % en terme réel en un an. En revanche, la catégorie de charges qui s’est le plus contractée est celle du logement (aux prix stables depuis 2013), de 20,2 % en terme réel à 15 507 en moyenne mensuelle par ménages.
Hausses de salaires et recrutements
Une reprise notable des achats des ménages viendra d’une croissance significative des salaires, « adressée à l’ensemble des salariés, dont ceux des petites et moyennes entreprises. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui,» indique Saiko Yoshida. Même si les progrès à réaliser en matière de politique de rémunération sont considérables, des avancées sont tangibles. Les revenus du travail – incluant la rémunération fixe, des heures supplémentaires et les bonus – ont augmenté en août pour le sixième mois consécutif et de de 1,4 % par rapport à l’année dernière.
« Les entreprises qui ont bénéficié de la baisse du yen ont amélioré leurs marges. Celles-ci ont choisi d’utiliser une partie de ces revenus supplémentaires pour augmenter les primes versées et pour revaloriser les rémunérations, » confirme Ken Maeda. Dans le contexte de la baisse du taux de chômage à 3.5% au mois d’août, « cette dynamique de revalorisation des salaires va probablement s’étendre plus largement dans les mois à venir, » ajoute l’expert.
« La dépréciation du yen, qui a perdu un quart de sa valeur face au dollar depuis mi-novembre 2012, n’a pas conduit la plupart des entreprises à réduire leurs prix de ventes en dollars. Contrairement à ce que l’on aurait éventuellement pu imaginer il y a deux ans, la baisse de la devise japonaise n’a ni favorisé les exportations, ni provoqué une accélération des investissements. La priorité a été donnée à la reconstitution des marges, » précise Raymond Van Der Putten, économiste de BNP Paribas.
Réapprendre à vivre avec l’inflation
Malgré les aléas conjoncturels liés à la digestion de l’appréciation de la taxe sur la consommation (un deuxième relèvement de 2 % est prévu pour octobre 2015), le paysage économique japonais est bel et bien en train de se transformer. L’inflation hors produits frais atteint désormais 3,1 %, et « 1,1 % environ en excluant l’effet direct de la montée de la taxe sur la consommation, » calcule Raymond Van Der Putten. A comparer à une déflation moyenne de 0,03 % en 2012, le chemin parcouru est remarquable, même si l’objectif de 2 % d’inflation (pour début de 2016) fixé par la Banque du Japon (BOJ) n’est pas encore atteint. « Le retour à la déflation n’est plus d’actualité. L’inflexion est pérenne, » estime Ken Maeda.
De l’avis de la plupart des économistes spécialistes du Japon, il n’est d’ailleurs pas question que la BOJ resserre sa politique monétaire. « Avec la reprise de l’inflation, les taux d’intérêt à long terme risquent de remonter de façon mécanique. Une appréciation trop forte rendrait le poids de la dette publique insoutenable. Afin d’éviter cette complication, la BoJ poursuivra ses achats d’actifs. Une sortie de la politique actuelle de détente monétaire n’est pas à l’ordre du jour, » conclut Raymond Van Der Putten.
Les actions bénéficiaires
C’est une bonne nouvelle pour les actions japonaises, qui recèlent les occasions de placements les plus attrayantes pour les investisseurs japonais. Comme le rappelle l’économiste de BNP Paribas, les achats de JGB (« Japanese government bonds ») font monter leurs prix et, par conséquent, baisser leurs rendements. Celui des obligations d’Etat japonaises à 10 ans tourne dès lors autour de 0,54 %, un taux bien peu rémunérateur, négatif si on lui retraite le taux d’inflation d’aujourd’hui… Une soustraction à laquelle les investisseurs n’ont pas manqué de s’adonner : « A la Bourse de Tokyo, les flux entrants dépassent les flux sortants, venant d’ailleurs en grande partie de l’étranger, » relève Ken Maeda.
(Publié sur www.lefevrefinance.fr ; Sylvain Lefevre Finance)